mardi 30 octobre 2007

Contrôle identitaire

A l’heure où s’accentue une pratique policière commune et pourtant illégale, je me dois d’adresser un message au plus grand nombre. L’une des libertés les plus fondamentales est chaque jour bafouée en France. Pour le prouver il me suffit de prendre un exemple tiré des programmes scolaires et donc d’une simplicité enfantine. On enseigne paraît-il aux enfants (en classe de 4e si je ne m’abuse) que « la liberté d’aller et venir, ou liberté de circulation est le prolongement nécessaire de la liberté individuelle et [qu’elle] doit donc être garantie par la loi ». On leur inculque, en se basant sur les lois, conventions et autres constitutions « [qu’]en France, toute personne peut se déplacer librement ». L’énoncé de ces libertés essentielles se base sur des textes comme la Déclaration universelle des droits de l’homme qui garantit que « toute personne à le droit de circuler librement [...] à l’intérieur d’un Etat » (art. 13) ; et la Convention européenne des droits de l’Homme (1963) qui assure pour sa part que « quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit de circuler librement ». Chers enfants, la France vous ment !
Mais qui pouvons nous blâmer ? L’école ? Ou ces président, ministres et préfets qui donnent des instructions en totale opposition avec les législations nationale, européenne et internationale ? L’école ment car elle fait mine de croire que l’Etat et ses représentants respectent la loi et les libertés de chacun. Les responsables politiques et les représentants de la force publique trahissent car ils violent les libertés de citoyens français en entravant ce « droit de circuler librement ».
Si vous ne l’avez pas encore compris je vise donc cette pratique scandaleusement banale qu’est le contrôle d’identité. Cela vous choque ? Vous le pensez utile et nécessaire ? C’est sans doute que vous ne l’avez que très rarement, voir jamais subi. C’est sans doute que vous n’êtes ni noir, ni arabe, ni même asiatique, ou encore « jeune » au sens médiatique du terme, à savoir le jeune à casquette, survêtement ou treillis. Rien à voir avec ceux qui traînent l’été à Deauville en tong UMP. Il s’agit du jeune qui (surtout lorsqu’il est coloré, mais pas seulement) effraie la bonne bourgeoisie, la classe moyenne son suppôt, et la blanche basse couche négligemment qualifiée de « France d’en bas » par l’irrespectueux ministre Raffarin. Si vous n’étiez pas de ces catégories, vous comprendriez nécessairement mon point de vue. Vous comprendriez sûrement pourquoi des jeunes préfèrent fuir à tout prix un contrôle policier quitte à risquer l’électrocution dans un local EDF. Vous comprendriez sûrement ce sentiment incurable de marginalité qui nous caractérise et vous partageriez notre sourire lorsque l’on nous parle d’intégration. Vous remarquerez que je n’évoque pas ici le cas de personnes sans papiers, même s’il y aurait pourtant là aussi des critiques à énoncer. Je me contente pour l’instant de vous révéler l’injustice dont sont chaque jour victimes mes semblables et camarades d’humiliation.
Du président au français moyen, en passant par le gardien de la paix, chacun a sa justification de l’usage du contrôle d’identité. Mais comprenez vous que l’éventualité d’être arrêté (ne serait-ce que pour quelques minutes) alors que l’on n’a commis aucune infraction, aucun crime, que l’on ne circule pas à bord d’un véhicule nécessitant licence ou autorisation, comprenez vous que cette stigmatisation dans sa régularité est non seulement vexante, irritante, mais surtout illégale ? Je marche dans la rue et l’on m’arrête. C’est injustifié. Je descends du train et l’on contrôle non pas mon titre de transport mais ma carte d’identité, c’est anormal. Ma liberté de circulation est entravée, et paraît-il que je dois l’accepter. Et bien non. C’est injuste et inacceptable. Cependant, connaissez vous la réponse que l’on nous adresse lorsque l’on s’offusque ou lorsque l’on aurait des velléités de résistance : « Monsieur, on a pas de compte à vous rendre » ou encore « Si vous continuez, on vous emmène au poste » et enfin le non moins délicat « si vous voulez me faire chier je vais vous faire chier ». C’est incroyable ! Cet homme m’arrête de manière totalement arbitraire, il bafoue mon droit, et c’est moi qui « fait chier » ? Pour paraphraser la seule trouvaille digne d’intérêt du président Chirac, c’est « abracadabrantesque » !
Un jour j’avais cru lire un texte assez intéressant qui disait : « Nul ne doit être arbitrairement arrêté, détenu, ni exilé » (Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948, art. 9). Il est vrai que l’on ne m’a pas enfermé sans motif (quoique cela arrive tous les jours à d’autres dans le cadre de ces contrôles), mais je suis et nous somme cependant victimes d’arrestations arbitraires, quotidiennement dans l’indifférence générale. On justifie tantôt cela par la lutte contre la délinquance, tantôt par la lutte contre l’immigration clandestine. Imaginez donc ce que vous pouvez ressentir. Dans le premier cas on vous prend pour un délinquant potentiel, c’est sans doute que vous en avez les caractéristiques. Je n’aurai qu’une naïve question : quelles sont ces caractéristiques ? Rare sont ceux qui vous l’avouerons, mais bien souvent la seule suspicion vient de votre couleur de peau ou de votre accoutrement (le cumul n’est pas systématique). Mais au fond, comment blâmer le gardien de la paix auquel on demande d’exécuter des arrestations à tous égards arbitraires et qui n’a pour seul critère que les préjugés que tout le monde possède ? En même temps, comment ne pas comprendre la colère du contrôlé qui lorsque le contrôle ne se limite pas aux papiers d’identité, est fouillé comme un vulgaire scélérat alors qu’il n’a commis aucun larcin. Il se retrouve bras en crois, jambes écartées, soumis à la vindicte des regards inquisiteurs des passants (car ces contrôles se font presque toujours dans des lieux très publics). Beaucoup ne connaissent pas le sentiment de honte et d’impuissance qui peut vous parcourir dans ces moments. Face à l’injustice, vous ne pouvez avoir que deux réactions : l’abattement ou la colère.
Imaginez. Vous attendez votre train dans le hall d’une grande gare parisienne au milieu d’autres usagers. Viens alors quelques policiers qui décident de vous contrôler (sans comprendre pourquoi) vous (le noir), le jeune blanc habillé en treillis (genre « teuffeur » de rave party) debout à vos côtés et enfin le grand noir qui jouxte ce dernier. Vous pourriez demander la raison de ce contrôle mais ça ne ferait que le rendre plus désagréable. Vous subissez. On vous fait poser les mains sur le mur et l’on vous fouille, partout ! Au-delà de l’indécente palpation de votre entrejambe, vous vous sentez sali par les regards de la populasse. Vous sentez que cette scène conforte chez eux les préjugés divers qu’ils partagent vraisemblablement avec vos tactiles oppresseurs policiers. Bien entendu vous n’avez rien fait, et ces braves agents de la force publique ne peuvent que vous laisser repartir. Ces derniers sont même un brin aigris de n’avoir pu trouver sur vous la confirmation de leur suspicion initiale et se sentent atteint dans leur amour propre de fin limier. Vous, vous prenez place dans votre train de banlieue où vous faites face aux regards dédaigneux qui ne voient en vous qu’un délinquant, une racaille, étrangement relâchée par de bien trop complaisants policiers. Parvenez vous à imaginer ce sentiment d’injustice mêlé de rage et de dégoût ? Injustice face à ce contrôle immérité, rage envers cette police omnipotente armée de préjugés, et enfin le dégoût pour ces gens si prompts à juger sur des apparences.
Tout ce que vous direz ne vous sauvera pas. Vous essaierez d’expliquer que ce type de contrôle au faciès est injuste, on tentera de vous faire reconnaître son bien-fondé avec une constatation qui a leurs yeux est guidée par le bon sens, du type : « Reconnais qu’il y a quand même beaucoup plus de noirs et d’arabes qui foutent le bordel ou qui ont de la drogue sur eux ». Ah !... Alors, si j’ai bien compris, on m’arrête car j’ai le tort de ressembler à un hypothétique coupable. Ainsi donc, par extension, mon faciès fait de moi non seulement un bon suspect, mais aussi un parfait coupable. A peu de chose près, j’ai l’impression d’entendre le loup dire à l’agneau : « si ce n’est toi, c’est donc ton frère ». Un contrôle d’identité répond à la même logique que cette fable, apprise dans ma jeunesse et qui illustre si bien l’injustice. L’agneau en rentrant chez lui aperçoit au loin, un loup en patrouille. Que va faire l’agneau ? Tenter de raisonner le loup en démontrant son innocence ? Non, celui-ci ferait une nouvelle fois la sourde oreille. L’agneau a beau réfléchir, il ne voit qu’une solution : la fuite. Nombreux sont les petits agneaux de France qui craignent de se faire dévorer par les questions insidieuses des loups policiers si prestes dans leurs soupçons calomniateurs. Seule la fuite peut leur permettre d’éviter un nouveau face à face humiliant. Alors contrairement à la fable de La Fontaine, certains agneaux de France choisissent la fuite. La fuite quitte à se blesser sur un barbelé. La fuite quitte à se noyer dans la rivière. La fuite quitte à finir électrocuté dans un local EDF.
Mais ne pensez pas qu’être pris pour un sans papier soit plus agréable. Chaque fois que l’on nous demande de justifier de notre identité, c’est une nouvelle mise en doute de notre appartenance à la France. Si parmi la foule le policier vous choisi, c’est que vous êtes selon lui, celui qui est susceptible de ne pas être français. En vous choisissant il pense minimiser ses chances d’erreur, et nul ne s’en offusque. On parle d’intégration, mais comment se sentir intégré quand chaque jour on nous distingue ? Par l’intensification de leur chasse aux sans papiers, le président et son cerbère du ministère de l’identité nationale oeuvrent, sans le savoir, à la consolidation du communautarisme, par l’intensification des contrôles d’identité et l’entretien du sentiment d’exclusion chez les victimes de ces injustices. Ne demandez pas aux personnes d’origines extra-européennes (parfois lointaines) de faire des efforts d’intégration alors que de toute évidence leur faciès les condamne à la marginalisation. Tous les synonymes et périphrases utilisés pour désigner les noirs et les arabes en France ne masquerons jamais la permanence de préjugés racistes à leur encontre. Certains diront que c’est la paranoïa qui nous pousse à voir le racisme partout et je leur réponds qu’ils ont parfaitement raison. C’est parce que nous connaissons et craignons le racisme, que nous parvenons à le débusquer dans un regard, dans un geste. C’est parce que l’on a la hantise de le rencontrer que l’on peut tenter de se soustraire à toute situation qui selon nous semble propice à sa manifestation. Car notez bien une chose, je n’ai abordé ici que le contrôle d’identité banal et j’ai voulu montrer combien il était déjà frustrant et insultant. Imaginez lorsqu’il s’agit de ce que les journaux appellent pudiquement un « contrôle musclé ». Imaginez l’intensité de notre rage lorsque les coups s’ajoutent à l’injustice. Comprenez vous que certains essaient de se dérober face à ce type de contrôle ? Comprenez vous enfin que des enfants, se sachant impuissants, fuient devant la menace de cette injustice, en prenant au passage des risques inconsidérés ?
Si en définitive vous ne parvenez pas à comprendre notre sentiment, cela ne me surprend pas, bien au contraire. Votre entêtement illustre l’attitude de la majorité des français, prouve la persistance des préjugés que je dénonce et explique les résultats électoraux de cette année. Pour choquer, je pourrai me risquer à comparer la vexation ressentie lors du contrôle d’identité à l’humiliation des porteurs de l’étoile jaune pendant une période troublée de l’Histoire de France. Les conséquences sont différentes, mais la honte est voisine. Ah !... J’entends les soupirs désapprobateurs des lecteurs presque conquis et je vois la moue consternée des plus réfractaires à mon exposé. Mais je discerne aussi les sourires complices des victimes de ces injustices et les hochements de tête de ceux qui feront l’effort de comprendre mon point de vue. Toutes les nominations, toutes les lois et tous les ministères n’y changeront rien. Seul l’abus de la méthode coué nous convainc (en apparence) que nous sommes tout autant citoyen que le gaulois moyen. En réalité, tant que nos droits et nos libertés ne seront pas respectés à l’égal de ceux des autres citoyens nous ne pourrons nous sentir de véritables français.

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