mercredi 13 juin 2007

Quand les bourges s’ennuient.

Avez-vous déjà observé les jeunes bourges parisiens dans leur gauchisme juvénile ? Si ce n’est pas le cas, c’est que vous n’avez pas fréquenté de facultés aux rougeurs de l’automne, ou quand vient le printemps. Flanqués de quelques acolytes plus modestes et servant de caution morale, ils manifestent des opinions qui, si elles n’étaient pas éphémères comme leur jeunesse, seraient admirables. Ces bourges rêvent car ils s’ennuient dans leur mue. Ils jouent une dernière fois avant de devenir adulte et sérieux. Leur jeu favori ? Mai 68.
Si l’on en croit une expression journalistique restée célèbre, il parait que la France s’ennuyait en 1968 peu avant sa printanière poussée de fièvre. C’est peut être par peur d’un ennui comparable et menaçant, que notre nouveau président entend réveiller (tôt) le pays, lui donner une dynamique, ou tout du moins, en donner l’illusion médiatique par ses joggings et son style, que certains jugent digne de Kennedy (il devrait éviter les décapotables alors...). Mais c’est sans doute également pour cela qu’il entend liquider les héritages de 1968. Afin d’éviter de donner raison à ceux qui, aux vues de l’inimitié que lui porte une partie de la jeunesse, lui prédisent « son » mai 68, Mr Sarkozy va sans doute tout faire pour que l’on ne s’ennuie pas. Tout un programme.
Un programme qui a de toute évidence séduit. Certains ralliements parmi les « personnes prétendument célèbres », m’ont même passablement surpris, je dois l’avouer. Au-delà des mauvais contribuables soucieux d’obtenir la plus fiable des cautions, et des conservateurs patentés, on trouve de véritables fruits de mai 68, mais pas moins acquis à la cause du nouvel hôte de l’Elysée. Je m’interroge (pas vous ?). Bah alors ? On a peur de voir s’ériger de nouvelles barricades ? Selon moi, oui. Pourquoi, me direz-vous. Et bien parce qu’ils ne se reconnaissent pas dans certains émeutiers qu’ils ont observés. Ils les désapprouvent et ils en ont même peur à certains égards. Faut dire qu’ils ont vieilli et leur perception du monde aussi. De plus, ils ont beau vouloir rester « cool », ils sont frappés de l’amnésie partielle dont souffrent presque tous les ex-jeunes. C’est un peu comme certains de mes amis qui, une fois devenus surveillants dans des collèges, semblent avoir totalement oublié les sales mômes (voir les diables) qu’ils étaient, et se persuadent qu’ils n’avaient rien à voir avec les démons dont ils ont la surveillance. Quand je leur parle de leurs « exploits » passés, ils me répondent que ce n’était pas aussi grave, ou que ce n’était pas pareil. Interrogez les « soixante-huitards » sarkozystes et ils auront des réponses semblables.
J’ai une théorie à ce sujet. Je n’en fais pas une vérité absolue, juste l’ébauche d’une opinion. D’abord, je relève que malgré le tour social et politique, le mouvement français de 1968, reste incarné par le conflit étudiant, ce choc des générations, cette volonté d’émancipation de la jeunesse (c’est ce qu’on raconte). Au final, tout cela lui donne à mon sens, le caractère et les attributs de la crise d’adolescence dont sont victimes les jeunes bourgeois et tous ceux dont le confort matériel (même plus modeste) permet de se chercher des tourments de substitution (car quand tu crèves la dalle, ou que les trous de tes chaussures ne sont pas dus à la mode, tu te contentes de ces soucis là). Cette impression est renforcée quand on se souvient que les évènements de 1968 sont à replacer dans un contexte international assez tendu en divers points du globe. L’agitation estudiantine touche divers pays, les Etats-Unis en tête, où l’opposition à la guerre du Vietnam agite nombre de campus. Là-dessus s’ajoute la lutte des noirs pour les droits civiques, l’assassinat de Martin Luther King et l’embrasement des ghettos noirs qui en a suivi. On peut également faire mention du printemps de Prague et de la répression soviétique en Tchécoslovaquie. On comprend alors l’ennui et la frustration des jeunes français. Ils n’ont même pas une petite guerre à eux contre laquelle ils pourraient marquer leur opposition (l’Algérie, c’est fini). Obligé de squatter celle des autres. Forcément ça énerve, et ce qui était supportable ne l’est plus. Alors on se cherche des soucis, on refuse l’autorité. On croit que la jeunesse est un état social définitif, et à ce titre, on a plein de revendications. Avouez que le parallèle se tient. Après la crise d’adolescence de la jeune fille vient le dépucelage et le dévergondage comme la libération sexuelle a suivi Mai 68. Ainsi, les grèves l’ayant accompagné sont comme la réaction de la mère qui dans le conflit entre la fille et le père autoritaire, se mêle finalement de la querelle. Elle ose prendre partie contre l’autoritarisme paternelle, se permettant un : « Charles, tu exagères ». Cette coalition pousse le père bougon à un mutisme temporaire, préférant bricoler dans son coin. Mais au final, la mère autant que la fille profitent des quelques efforts que consent à faire le patriarche en octroyant quelques libertés à la maisonnée, tout en prenant garde de rester le chef de famille.
Mais cette jeunette qui a profité peut être plus que de raison de ces libéralités, ne restent pas jeune. Elle vieillit et se rend compte que le laxisme dont elle a fait preuve avec ses propres enfants n’a pas empêché ces derniers de lui causer bien du souci. Elle se dit alors que l’austérité et la rigueur du paternel avaient leurs avantages. Cette ex-jeunette se tourne alors vers son frère pour qu’il l’aide dans l’éducation de la génération suivante. Celui-ci, sans être le tyran paternel, a toujours apprécié l’ordre qu’il faisait régner, et entend à sa manière en perpétuer la tradition. Voilà comment ceux qui ont cherché la liberté, veulent limiter celle de leur descendance. Voilà surtout comment certains « people » (terme exécrable) et tout ceux dont l’essence est soixante-huitarde, peuvent cependant se réfugier dans les bras sécuritaires d’un « frangin Sarko » dont l’apparent dynamisme empêche de croire qu’il puisse être réellement rigide. Cette recherche à demi consciente des valeurs paternelles les transforme à leur insu en clones de leur père, masqués sous des habits de modernité. Persuadés d’être restés « cool » ils voient désormais le monde comme leur père que, jadis, ils imaginaient tyran. C’est pour cela qu’ils ne se reconnaissent pas dans une partie de la jeunesse (surtout quand le miroir est déformant et teinté), ils n’ont pas les mêmes aspirations. Ils minorent la profondeur de leur malaise, ils ne comprennent pas les formes de leur contestation, leur violence, et les aspects autodestructeurs de leur action. Ils en ont même peur et compte sur « leur frère » pour juguler cette jeunesse. Car ils l’imaginent avoir l’autorité sans être autoritaire, ils pensent qu’il peut leur donner un cadre et non un carcan, ils souhaitent qu’il leur apprenne la morale sans voler leur liberté de penser.
Ils pensent cela car ils ont oublié la réalité des perceptions de la jeunesse, et que ces jeunes ne peuvent voir que l’autoritaire là ou l’adulte voit l’autorité. Surtout ils ne les comprennent pas car lorsqu’ils en font l’effort, ils ne trouvent pas l’identique de leur situation, et ne peuvent ainsi admettre la légitimité de leur révolte. Ils y voient un mauvais remake, une pièce classique dont l’adaptation contemporaine semble de mauvais goût. Les rôles ont changé. Si le malaise de la jeunesse était resté la crise périodique post-adolescente, ils auraient pu comprendre. Quand les jeunes bourges font leur remake de mai 68, ils comprennent, se gaussant même du fait qu’ils ne sont pas égalés. Mais quand d’autres, au désenchantement plus grand encore, manifestent l’amertume qu’ils ne savent exprimer que par des violences, ces ex-trublions ne comprennent plus. Ils ne comprennent d’autant pas qu’ils ne leur ressemblent en rien. Ils ne jouent pas à mai 68 eux. Ils n’ont pas leurs valeurs, leur culture, leurs rites. C’est une fracture, que certains ont dit sociale, mais que d’autres plus polémistes jugeraient « socio-ethnique ».
Faisant mine de ne pas faire de différence entre ces enfants, le « frangin Sarko » entend être envers eux aussi sévère que son père, mais avec plus d’habileté. La question est de savoir si la mère et le reste de la famille finiront par apporter ne serait-ce qu’un timide soutien aux rebelles de la maisonnée, ou si par crainte de voir se révolutionner l’édifice familiale, ils vont se rallier au grand frère devenu chef de famille. L’entendez vous dire : « Si tu vies sous mon toit, tu manges avec tout le monde, tu respectes mes règles et tu fais ce que je te demande. Sinon, la porte est grande ouverte. Personne ne te retient. » Quelle sera la réponse du nouveau rebelle de la maison. Ne fait-il lui aussi que sa petite crise d’adolescence, due au confort relatif dont il jouit et dont il n’a pas même conscience ? Ou est –il véritablement le mal aimé, le vilain petit canard, le parent pauvre du foyer ? La crise finale et l’issue nous donnerons la réponse. Car quand bien même ils se croient persécutés, les vrais enfants gâtés ne font pas de vraie révolution, ils y jouent. Ils sont même les plus apeurés quand la vraie révolution se fait jour. Quand on joue avec le feu, on risque de voir d’autres attiser les flammèches des allumettes que l’on a soi même négligemment jeté.